Entre soeurs

Étonnamment, en à peine quelques jours, Lisabelle s'était faite à cette nouvelle vie au côté de la famille de Norfolk. Elsa et elle était très proche et le duc était aussi protecteur et agréable que possible. Le parrain et la filleule avaient pu faire connaissance plus amplement depuis leur première rencontre et si les secrets étaient encore nombreux entre eux, Lisabelle l'appréciait.

Au côté d'Elsa, qui était officiellement en convalescence suite à l'agression, elle apprenait bien des choses. Tout d'abord, elle avait appris à se vêtir et à se coiffer. Mais aussi à se tenir et à se comporter. Certes, il y aurait encore des choses à corriger mais on n'avait plus l'impression qu'elle ressemblait à un épouvantail.

Auprès de Théodore, qui avait repoussé son départ, Elsa servait de chaperon bien que l'un comme l'autre des deux jeunes amants sache garder sa place et surtout, ne la mette à l'écart.

Le soir venue, c'est en chemise que les deux jeunes filles se glissaient dans le lit qu'elle partageaient depuis le premier soir et il n'avait pas été question de changer cela, discuter n'avait servit à rien.

Se couvrant dans un sourire, Lisabelle se tourna vers sa comparse quand elles furent seule, la regardant avant d'hésiter :

- Edward ne te quittait pas des yeux cette après-midi...

Elle avait pu assister au rapprochement discret des deux jeunes gens. Et c'était pour elle l'occasion de détourner un peu l'attention d'elle-même.

Après l’agression, tout était allé vite. Encore sous le choc, Elsa avait été rapatriée d’urgence jusque dans ses appartements et mise d’autorité au lit avant que la rumeur se propage. Les deux jeunes femmes avaient fait preuve de courage ce soir-là, et le pire avait été évité. Toutefois, personne n’avait pu comprendre pour quelles raisons la personne de Lisabelle avait été confié à l’ambassadeur d’Angleterre, aussi les ragots allait bon train. Et lorsqu’on ne les admirait pas pour leur courage, les autres parlaient d’elles en mal, comme des filles de peu de bien pour se promener seule dans les couloirs sans la surveillance d’un homme.

Libérée de son office auprès d’Henriette d’Angleterre, Elsa s’était donc résolue à dispenser son maigre savoir féminin auprès de la personne de Lisabelle – désormais logeant dans leurs appartements. La demoiselle se montrait patiente, et tâchait d’expliquer les rudiments les plus basiques pour se comporter en société. D’une grande aide si jamais le mariage se réalisait. Et Elsa l’espérait grandement, car Lisabelle commençait à compter de plus en plus dans sa vie. Comme une véritable sœur l’aurait fait. Mais elle n’oubliait pas qui elle était. Qui elle était réellement. Et si elle ne parvenait pas à esquisser une distance, il était de son devoir de lui enseigner ce que des années d’une éducation masculine avait pu effacer.

Elles passaient donc la totalité de leurs journées ensemble, même si Théodore réclamait parfois un peu d’attention de la part de la jolie française. Elsa se mettait donc un peu à l’écart, pour leur laisser suffisamment d’intimité tout en pouvant garder un œil sur le jeune couple. S’emparant à chaque fois d’un livre sur lequel elle prenait des notes, la blonde ne remarquait en rien les regards d’Edward qu’elle saluait à chaque fois cordialement. Mais ils n’échangeaient pourtant aucun mots.

Aussi, lorsque ce soir là – après avoir passé une chemise de nuit en soie – Elsa s’était allongé dans les draps au côté de Lisabelle, elle écarquilla les yeux en l’entendant dire. Puis, elle éclata de rire en la repoussant doucement :

« Ne te moques pas. Je ne l’intéresse en rien. Ses préférences vont vers des dames à l’intelligence plus… limité. Il ne voudrait pas de concurrence à son énorme égo masculin. »

Elle fit une moue en ajustant le drap sur sa personne, songeuse. Parfois, elle rêvait aussi de mariage, en sachant pertinemment que la société souhaitait d’elle cela. Ne pouvait-on être heureux en dehors de ces liens ? Elle savait qu’il s’agissait de pêchés. Mais parfois l’idée lui effleurait l’esprit, avant qu’elle ne reprenne le cours normal de sa vie. Elle esquissa pourtant un sourire en s’approchant de Lisa.

« Mais en parlant de gros égo… Comment va notre cher prince ? T’as-t-il fait une demande officielle ? »

Lisabelle l'avait regardé écarquiller les yeux, quoi ? Elle n'avait rien remarqué ? Elle-même en était pourtant persuadée. Ce qui ne l'empêcha nullement de joindre son rire au sien.

- Tu es cruelle... Surtout que je ne me moque pas ! Le pauvre si il t'entendais...

Elle soupira quand le sujet revint à elle, c'était presque systématique, pour une raison inconnue il fallait toujours qu'elle soit au centre de l'attention. Elle se laissa tomber sur le dos, observant le plafond sans le faire remarquer, lui répondant :

- Tu ne nous as pas laissé une seconde... Tu serais sans aucun doute la première au courant... Mais non, toujours pas.

Elle la regarda à nouveau :

- Et je doute qu'il le fasse en vérité... Sa position ne le lui permettrait pas. Je ne suis qu'une petite baronne. Lui est prince...

Elle détourna le regard, depuis quelques jours, elle tentait de s'en convaincre, de se raisonner car après tout, oui, c'était dans l'ordre naturel des choses... Même si cela lui faisait de la peine et que Théodore ne l'avouait pas encore.

Elsa n’avait pas répondu au sujet d’Edward, songeuse au sujet du soldat qu’elle avait rencontré en de bien étrange circonstance. Et comme ils parlaient à peine durant les entrevues de Lisabelle et de Théodore, elle ne pouvait guère jugé de son intérêt. Chez l’anglaise, ses sentiments ne passaient guère par le physique, mais au contraire par la personnalité et la discussion. Elle était plus raisonnée que passionnée, et n’était pas du genre à croire au coup de foudre. Elle haussa donc les épaules pour toute réponse avant de se tourner dans le lit, posant son mention dans le creux de sa main en observant attentivement Lisabelle.

« Je pense qu’il la fera avant la fin de la semaine. Il t’aimes, cela se voit comme le nez au milieu de la figure. »

Elle ne pouvait pas lui dire que cette union était sans doute la plus honorable et la plus valable pour elle, qui était une princesse de sang. Cela serait trop brutal. Trop inconcevable – en particulier en l’absence de preuve. Ce butor de Suédois avait conservé la lettre, et Elsa ne s’était pas hasardé à la récupérer. Elle tenait trop à conserver ses deux mains intactes. L’anglaise se mordit donc la langue pour toute réponse en voyant Lisabelle détourner le regard, s’emparant de sa main avec douceur.

« Il est prince, certes. Mais je peux t’assurer que tu ne vaux pas moins que lui. Ses parents accepteront peut être son choix, sinon je le crois capable de braver leur avis pour faire de toi son épouse. »

La jeune fille comprenait les doutes de son amie. Elle-même l’aurait fait si jamais elle avait su capter l’attention d’un prince. Mais qu’importait. Elle se devait de la rassurer au mieux, car ce mariage aurait lieu. D’une façon, ou d’une autre.

Lisabelle la regarda, surprise de son assurance alors qu'elle tentait de la rassurer. Elle pinça les lèvres en se mordant la langue. Elle tourna la tête de côté pour la regarder, enfoncée dans son oreiller moelleux.

- C'est gentil de me dire tout cela Elsa... Mais... Je ne veux pas qu'il se mette sa famille à dos ou renonce au trône pour moi. Tu comprends ? Et je ne suis rien en comparaison à lui non...

Elle n'avait qu'un petit lot de terre, pas la moindre fortune... Sa famille était seulement connu pour ses faucons. C'était tout. Du moins, tout en dehors d'un lien certain avec l'Angleterre mais elle ne savait pas lequel. Et les réponses que lui apportait son tuteur étaient toujours aussi évasives.

Elle soupira en se tournant de côté, se mettant en position fœtale, comme chaque soir au moment de s'endormir. Et quel sommeil, rien n'aurait pu la réveiller, surtout dans ce lit plus douillet qu'elle n'en avait jamais connu. Elle avait la sensation de dormir sur un nuage. Pourtant, ce soir-ci, elle avait les yeux grands ouverts et observait son amie avec attention.

- J'aimerais que tu ais raison pourtant...

En voyant la petite mine de son amie, Elsa se mordit férocement la langue, essayant de lutter un temps contre ce secret qui ne demandait qu’à sortir. Elle comprenait. Lisabelle ne voulait pas être la source d’aucune perte pour son bien-aimé. Elle était capable de se sacrifier, de sacrifier son bonheur en pensant assurer le bien d’une nation. Elsa ne pouvait laisser faire cela, en particulier quand la situation ne demandait qu’un titre et un rang équivalent. Deux choses en sa possession. Elle se redressa alors dans le lit, anxieuse :

« Lisabelle. Je dois te dire quelque chose d’important… Quelque chose que j’ai découvert il y a quelques semaines – toutefois tu vas devoir me croire sur parole. La preuve est entre les mains de quelqu’un d’autre, mais qui œuvrera pour ton bonheur. »

Elle se tordit les mains, évita un instant son regard avant de finalement se décider. Tant pis si elle lui en voulait pour cette omission. Elle n’avait après tout guère eut le choix sur le secret.

« Ton père n’était pas n’importe quel anglais. Il était prince. Le prince héritier de la couronne, un titre qu’il a abandonné pour épouser ta mère. »

Elle l’avait dit, et sa voix avait à peine chevrotée. Le poids était descendu de ses épaules soudainement, libérée. Elle savait. Restait à savoir si elle la croyait en l’absence d’une preuve écrite concernant cette soudaine et opportune ascendance royale. Plus rien ne l’empêchait dès lors d’épouser son prince. Et celui-ci serait bientôt mis au courant de l’événement.

Lisabelle avait froncé les sourcils en la regardant se redresser et prendre cet air si sérieux. Visiblement, ce qu'elle avait à lui dire était important alors elle se redressa elle aussi, prenant sa main pour la rassurer, elle l'écoutait, elle la croyait...

Puis elle lâcha le morceau... Elle eut l'impression dans un premier temps qu'elle se moquait d'elle. Mais en voyant sa mine sérieuse, elle se mordit la langue, se figea, les années de sa petite enfance lui revinrent en mémoire, le visage de son père. Jamais elle n'aurait pu le deviner. Jamais elle n'aurait pu le croire... Et si un autre qu'Elsa s'était risqué à lui annoncer cette nouvelle abracadabrante, elle lui aurait sans doute rit au nez.

Mais c'était Elsa. Alors elle ouvrit la bouche, la fixant, stupéfaite.

- Que... Que... Quoi ? Mais..

Son père était prince, héritier ou non cela n'avait pas vraiment d'importance pour elle et dans la mesure où il avait renoncé à ce trône qui lui était destiné, si ? Et elle, comme elle était sa fille, une princesse ? Sans doute pas. Sa soeur peut-être... Elle en avait tout le mauvais caractère du moins.

Elle baissa le menton, tentant de mettre de l'ordre dans ses idées :

- Pourquoi ne m'a-t-on jamais rien dit ?

Elsa avait anxieusement serré sa main, la laissant encaissé le choc de cette annonce, honteuse de ne pas lui avoir dit plus tôt mais également soulagée. La puissance de cet aveu devait avoir bouleversé son fragile équilibre – fort heureusement ils n’étaient que peu à se trouver dans le secret, ce qui lui laisserait tout le temps de se faire à cette idée.

« Parce-que tout le monde l’ignore encore. Mon père est le seul à le savoir de source direct, puisqu’il était là et qu’il connaissait ton père. Mais sinon, nous sommes les seules. Avec monsieur de Winter puisqu’il m’a surprise. »

Elle esquissa une moue en se rappelant de sa prise sur son coude, et de ses paroles menaçantes. Toutefois il avait accepté de ne pas en parler à Théodore, lui laissant le temps d’avertir Lisabelle sur sa véritable nature. Elle serra ses mains dans les siennes, plantant son regard dans le sien.

« Vous êtes princesse de sang, et de droit. En tant que première née, la couronne aurait dû vous revenir. Et vous êtes plus que digne d’épouser Théodore de Suède Lisabelle, de cela j’en suis certaine – bien que vous l’étiez même sans ce titre. »