Le grand départ

La semaine qui suivit la déclaration du prince de Suède fut particulièrement mouvementée pour les serviteurs du palais. Le départ imminent de la délégation suédoise, rendue forte d’un accord avec le pouvoir français, prenait le temps de tous – et en particulier celui d’Elsa qui avait dû gérer les maigres bagages de la princesse cachée. Après l’accord de son père qui avait finalement accepté son départ pour un nouveau pays, Elsa avait donc prit congé d’Henriette pour s’attacher discrètement au service de Lisabelle qui était plus une amie et une sœur  qu’une maîtresse. Parcourant la ville pour constituer une garde robe convenable à la princesse, elle jouait également les chaperons, tandis qu’elle faisait en sorte que tout soit prêt pour le jour J.

Après de longs adieux, ils avaient finalement quittés Paris quelques jours plus tôt en direction du port de Calais, où un bateau les attendaient. Assise dans un carrosse entièrement dédié à la nouvelle fiancée, Elsa jetait des coups d’œil aux cavaliers à l’extérieur – dont un en particulier. De là, elle pouvait aisément apercevoir le dos rigide d’Edward, qu’elle avait prit grand soin d’éviter pendant cette semaine de départ agité. La jeune femme avait eu besoin de recul, de prendre un peu de distance vis à vis de cette déclaration et de la demande du soldat. Et évidemment elle avait gardé le secret pour elle-même, n’osant pas parler de ce stupide problème alors que son amie était sur un petit nuage. Le mariage aurait lieu d’ici quelques mois, après sa présentation en Suède, puis en attendant les préparatifs d’une fête qui se voudrait sans doute grandiose, en adéquation avec l’amour entier que Théodore portait à sa bien-aimée.

Elle poussa un long soupire, refermant le rideau sèchement en craignant que l’on ne remarque son manège, retournant à son ouvrage alors qu’ils arrivaient assurément à destination. Le cri des mouettes se faisait entendre, et l’odeur saline du port venait taquiner leurs narines. Bientôt ils embarqueraient sur un navire qui les mèneraient bien loin de chez elles, et il serait alors plus difficile d’éviter son soupirant éventuel sur un bateau de 10m²… Elle se mordit la langue avant de regarder Lisabelle.

« Croyez-vous que nous aurons des cabines attenantes avec celle des hommes ? Ou que nous  partagerons le même lieu de villégiature ? »

Les préparatifs du voyage avait laissé le temps à Lisabelle de mettre ses affaires en ordre. Ca n'avait pas été facile de dire adieu à des amis comme Laurent de Flone ou à cette vie qu'elle avait toujours connu... Elle avait aussi tenté de se rapprocher de sa soeur, lui faisant don de toutes ces possessions en France et de sa maigre fortune, elle aurait le titre et la dot dont elle rêvait et naïvement, Lisabelle avait cru Lucille.

Puis après un dernier adieu, elle était montée dans le carrosse. Le voyage lui avait dès lors paru interminable. En tant que Princesse, et fiancée du Prince de Suède, elle se devait de l'accepter et de tenir sa place. Mais elle aurait tout donné pour être en selle avec les hommes et partager leur bavardages.

Mais elle restait en excellente compagnie. Elsa avait suggéré qu'elle l'accompagne en Suède, en tant que dame de compagnie. Elle n'y connaissait pas grand chose dans tout cela mais l'idée de ne pas se retrouver seule en pays étranger l'avait rassurée. Car oui, cette idée la rendait nerveuse. Elle ne parlait que le français... Elle craignait de finir comme cette pauvre Marie-Thérèse d'Autriche, esseulée dans une cour étrangère à laquelle elle ne comprenait rien.

Elsa avait souvent été à la fenêtre si bien qu'elle s'était demandé si elle n'avait pas le mal des transport, d'ailleurs, elle lui avait alors laissé la place faisant face à leur route pour mais cela n'avait pas semblé suffisant... Bien qu'elle ne s'en plaignit pas.

Alors que l'équipage arrivait enfin à Calais, elle lui posa une question qui la surpris :

- Eh bien je l'ignore Elsa... Je ne m'étais pas posé la question. Mais en un sens, je préfèrerai... Les marins sont plus lubriques encore que les soldats de ce que j'ai pu entendu dire.

L'Enhörningen était un peu plus loin dans le port, y accéderait par une barque comme on le leur expliqua lorsqu'elles mirent pied à terre, fermement encadré alors que le peuple, affamé était curieux de se spectacle. A leurs trognes, Lisabelle devinait leur colère et leur jalousie devant les biens nés qui n'avait jamais à se poser la question de la faim. Elle frissonna, cette colère, elle ne l'avait jamais senti sur elle avant ce jour. Et elle l'inquiétait, cette marée humaine les aurait avalés si aisément. Lisabelle se mordit la langue. Elle regarda Théodore :

- Ne pouvons nous rien faire pour tous ces gens ?

Théodore avait tenu à chevaucher à proximité du carrosse pour les quelques jours de voyages où ils seraient accompagnés par quelques mousquetaires jusqu’au port. Le souverain français souhaitait visiblement faire les choses le plus diplomatiquement possible, allant jusqu’à sacrifier plusieurs de ses meilleurs soldats pour assurer la sécurité d’un allié. Un grand roux était de ceux-ci, et ils n’avaient pu que constater que celui-ci se montrait très attentif aux besoins de Lisabelle, plus que des siens. Le coeur piqué par une pointe de jalousie, Théodore s’était légèrement renfrogné. Il serait ravi de se débarrasser du malotru une fois embarqués sur l’Enhörningen – le même navire qui avait assuré leur traversée à travers l’Europe.
Toutefois, celui-ci n’était guère prévu pour accueillir et des hommes et des dames. Surtout que le prince n’avait en réalité nullement envisagé de ramener à son bord une fiancée et une première dame de compagnie. Il songeait donc à abandonner la cabine aux dames pour aller dormir avec les marins.

Arrivés à Calais, la délégation s’était pressée dans les rues où quelques citoyens faméliques s’agitaient. La venue d’une royale famille faisait toujours parler, et les pauvres ne pouvaient qu’espérer recueillir une petite pièce pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Visiblement, le roi Louis saignait son peuple à blanc pour parvenir à mener une guerre et à venir à bout de ses constructions monumentales lancées depuis quelques années maintenant à Versailles.

Le prince avait pincé les lèvres tandis qu’ils arrivaient sur le port. Leur navire les y attendait, toujours aussi fringant. Et Théodore avait posé pied à terre pour venir assister Lisabelle qui descendit bientôt du carrosse. Un marin s’était approché, les saluant bien bas avant de leur expliquer la marche à suivre ; et tandis que le Suédois ignorait de son mieux le regard des pauvres gens qui pesaient sur eux, Lisabelle lui fit part de ses inquiétudes.

« Si je pouvais faire quelque chose, je l’aurai fait. Mais ils ne dépendent pas de moi, mais de votre roi. Je ne peux guère distribuer toute ma fortune pour quelques misérables » avait-il murmuré à son oreiller, espérant obtenir son approbation.

Elsa s’était glissée derrière eux, à quelques pas de distance, ayant coincée sous son bras un livre alors que le grand mousquetaire faisait en sorte de sécuriser les lieux. Théodore fit une moue en l’observant.

« Nous devrions embarquer. La traversée sera longue, et je préfère ne pas m’attarder dans cet endroit. »

Qu'un peuple meurt de faim tant que ce n'était pas le sien, c'est l'effet que fit la réponse de Théodore à Lisabelle. Mais elle n'y connaissait rien en politique et préféra donc ne rien répondre, sans doute avait-il raison même si elle trouvait injuste qu'un peuple si en proie à un souverain avare et cupide meurt de faim sans que personne ne lui vienne en aide.

Mais dans l'assistance, si Théodore la connaissait bien, il en était un qui la connaissait mieux encore. Laurent de Flone était bien au courant de tout ce qu'il s'était passé pour elle dernièrement. Elle lui avait tout dit, de sa rencontre avec Théodore, de ce qu'il avait éveillé en elle. Mais aussi de sa véritable identité. Elle lui faisait confiance pour ne pas changer de comportement à son égard. Quand il lui adressa un sourire rassurant, elle le lui rendit, ignorant la jalousie de Théodore pour le gascon.

Elle ne pu qu'approuver Théodore pourtant quand il suggéra de rapidement quitter le port. Ils n'avaient rien à y faire alors autant ne pas s'attarder plus que de raison. S'approchant sous bonne escorte du ponton où les attendaient deux barques, Lisabelle regarda un navire britannique quitter le port, elle chercha alors le regard d'Elsa. Comment était l'Angleterre ? Elle ignorait tout de cette terre, elle s'en rendait compte en cet instant. Mais elles auraient tout le temps de s'en préoccuper, elle regarda Théodore :

- Juste un instant Théodore je vous prie... Avant de quitter mon pays natal...

Emue ? Elle l'était sans aucun doute. Mais surtout, elle ne pouvait pas partir sans dire au revoir au mousquetaire qu'était Laurent de Flone, son plus vieil ami. Elle se détourna donc pour s'approcher du géant roux, cherchant ses mots en bafouillant avant de plonger dans ses bras avec émotion :

- Tu me manqueras de Flone. Prends soin de toi...

Après leur dispute, Laurent était retourné à la caserne, se plongeant dans le travail alors que de son côté Lisabelle découvrait une nouvelle façon de vivre. Pour autant, le mousquetaire avait cherché le moyen de se faire pardonnés, et ils avaient fini par se réconcilier. Son amie lui avait semblé changée. Puis, elle lui avait tout révélé. Comme toujours, le gascon était resté présent. Un ami compréhensif et à l’écoute. Si bien que lorsqu’il avait comprit qu’elle partirait pour la Suède et qu’on constituait une troupe de mousquetaire pour accompagner l’équipage jusque Calais, Laurent s’était porté volontaire.

Le voyage lui avait semblé durer une éternité. Il ne pouvait s’empêcher – le coeur serré – de se dire que c’était la dernière fois qu’il entreprendrait un tel voyage avec Lisabelle, mais il se forçait à mettre ses émotions de côté pour accomplir au mieux sa mission. Silencieux, il dirigeait ses hommes d’une main de fer, essayant de se montrer aussi professionnel que possible. Arrivés sur le port, il avait sécurisé le quai, vérifiant que tous étaient sortis et prêt pour l’embarquement. Restant statique, ils n’osaient pas bouger. Et lorsqu’il la vit passer au bras de son fiancé, il pensa qu’elle ne prendrait pas le temps de venir le voir pour ne pas heurter la jalousie flagrante de son prince. Comment lui en vouloir ? Lisabelle était radieuse. Et ils étaient proches. Très proches. Pourtant, lorsqu’elle approcha, il ne parvint pas à retenir un sourire – un peu triste peut-être – puis la prit dans ses bras avec un peu plus de force que de coutume.

« Toi aussi tu me manqueras Saverne… Beaucoup. J’espère que je pourrais continuer à t’écrire. Et qu’on se reverra, un jour. »

Sa gorge se noua légèrement alors qu’il la relâchait de son étreinte, sentant un regard brûlant venir du pont du navire. Il inspira profondément, se forçant un sourire avant de lâcher.

« Je dois t’appeler Sa Majesté, princesse ? »

Il sourit. Essayant de la dérider un peu avant son départ. Et pourtant, elle allait partir. Et il doutait pouvoir la revoir un jour. Ils avaient pourtant tant partagés. Tant en commun. Ils se connaissaient mieux que personne. En plus de perdre un compagnon, il perdait son amie la plus chère. Et cela, il ne l’oublierait pas.

Lisabelle ferma les yeux dans les bras de son ami, ne réalisant pas que Théodore n'appréciait pas cette proximité contrairement à son frère d'arme et de coeur. Quand il la relâcha, elle leva un regard triste vers lui, elle aurait aimé lui dire de venir avec elle. Mais elle ne pouvait lui demander de tout abandonner pour elle. Même en tant que princesse. Surtout en tant que princesse.

Lorsqu'il lui demanda si il devait utiliser une quelconque formule pour s'adresser à elle, malgré le chagrin de cette séparation lui causait, elle sourit, un sourire triste, tout comme son éclat de rire fit luire des larmes qu'elle tentait de retenir dans ses yeux bleus. Elle lui donna une légère tape dans l'épaule, camarade.

- Je te préviens de Flone. Princesse ou pas je suis très bien capable encore de te foutre à l'eau...

Elle détourna le menton pour essuyer une larme sur sa joue. Soupira avant avant de murmurer :

- Bon retour à Paris... Et oui je t'écrirais...

Elle se détourna alors précipitamment, dans un froissement de tissus, s'éloignant rapidement jusqu'aux embarcations où on lui proposa une main pour l'aider à s'installer, la gorge encore nouée et les yeux rougis.

Théodore s’était donc posté à l’écart, la laissant s’éloigner alors qu’elle fondait dans les bras du séduisant mousquetaire. Fou de jalousie, le prince était monté à bord de l’embarcation, fixant son regard sombre sur le couple alors qu’ils échangeaient visiblement quelques mots l’un avec l’autre. La partie raisonnable de son être lui hurlait pourtant qu’il n’avait rien à craindre, qu’elle quittait la France pour lui, et qu’elle ne le ferait pas si son coeur appartenait à un autre. Toutefois un côté plus possessif le rongeait, chaque geste, chaque sourire échangés avec un rival potentiel le rendait plus sombre encore.

Assit à proximité de la proue, il avait donc une vue parfaite. Puis, il les vit se détacher l’un de l’autre. Un rire, avant qu’elle ne le touche. Un coup, qu’il vit presque comme une caresse. Il pinça les lèvres en se redressant légèrement dans la barque qui tanguait sous l’assaut des vagues, attendant qu’elle s’approche pour l’aider.

Bientôt, elle vint vers eux, laissant le mousquetaire qui resta sur le quai à les observer. Le prince eut un mouvement d’humeur : qu’attendait-il donc pour partir ? Il avait eu ses adieux. Théodore tendit alors une main pour venir l’aider à s’installer parmi eux, Elsa proche d’elle vint poser une main sur la sienne comme pour lui apporter son soutien.

« Partons. » lâcha-t-il un peu sèchement.

Quelques instants plus tard, l’embarcation se dirigeait vers le navire, des marins ramant avec énergie vers le navire Suédois. Théodore détourna le menton des deux amies installées face à lui pour observer le navire. Et si elle ne l’épousait que pour son argent ? Pour son titre ? Si elle avait quitté celui qu’elle aimait véritablement juste pour une meilleure position ? Il se mordit la langue en silence. Puis, bientôt, monta à bord du navire à l’aide d’une échelle de corde – après les dames qui furent bientôt mises en sécurité.

Posant pied sur le pont, il lissa rapidement son vêtement, se tournant vers Elsa et Lisabelle.

« Nous allons faire route pendant deux semaines. La cabine est à vous, nous dormirons avec les marins. Prenez soin de bien vous installer. »

Lisabelle en montant à quai éttait persuadée de ne jamais revoir Laurent. Un frère, un ami. Elle ferma les yeux, ravalant ses larmes, serrant la main d'Elsa avant de se redresser pour monter à bord, l'échelle de cordes ne lui faisait pas peur malgré sa robe qui entravait ses mouvements. Aussitôt sur le pont les éloigna-t-on du restant de l'équipage, par abus de prudence sans doute. Elle ne protesta pas. En cet instant, elle aurait bien eu besoin du soutient de Théodore et pourtant, celui ci était glacial, froid et distant soudainement. Elle ne comprenait pas.

- Théodore... Qu'y a t il ?

Elle quittait la France et tout ce qu'elle avait jusqu'alors connu pour faire route vers l'inconnu. Elle n'avait pas en plus besoin de se sentir rejetée. Pas maintenant. Elle ne le supporterait pas...

Surtout qu'outre la peine de perdre tout ce à quoi elle tenait, à son exception, elle renonçait aussi à sa foi et à sa langue pour lui. La peur de l'inconnu la tenait depuis l'aube, la rendant anxieuse et nerveuse. Pas question d'y ajouter des non-dits.

Elle prit la main de son fiancé, le regardant, tentant de comprendre ce qui le contrariait dans son regard.

Alors qu’il se tenait à quelques pas d’elle, il remarqua l’anxiété dans son regard, et une pointe de peine qu’il prit plutôt mal. Elle allait épouser un prince, pourquoi de la tristesse si son bonheur était complet ? Théodore n’avait pas la réelle expérience des femmes. Egoïste de part son éducation de privilégié, il ne se rendit pas compte qu’elle pleurait un monde perdu.
Il pinça donc les lèvres en sentant sa main contre la sienne. Il ne la serra pas, fronça les sourcils en inspirant profondément avant de lâcher :

« Je ne souhaite pas en parler maintenant. Il y a beaucoup à faire. Vous devriez vous retirer. »

Il n’eut toutefois pas le cœur de la laisser ainsi, et poser un baiser froid sur sa paume avant de se détourner en aboyant des ordres, ne remarquant guère Elsa qui passait un bras réconfortant autour des épaules de la jeune femme pour la conduire dans les entrailles du navire. Le prince était tenaillé par la jalousie, et préféra se lancer dans le travail plutôt que de se voir ruminer. Il ôta son veston, retroussa ses manches, puis commença à assister les hommes peu nombreux pour porter les sacs de ravitaillement et les malles qui arrivaient par barque durant ce temps.

Il leur fallu plusieurs heures avant que tout ne soit prêt pour le départ. Bientôt, l’ordre fut donné, laissant un prince en chemise crasseuse, en sueur, satisfait d’avoir mit toute sa mauvaise énergie dans cette entreprise. Il s’appuya contre la balustrade, alors que le bateau quittait les côtés, observant les vagues se fracasser contre la coque. Essuyant d’un revers de paume la sueur perlant sur son front, il n’entendit pas que l’on s’approchait de lui.

Lisabelle aurait prit un coup en pleine figure qu'elle l'aurait sans doute mieux vécu. Mais elle s'était laissée entrainé jusqu'à leur cabine avant de s'effondrer en larmes. Elle ne parvint que difficilement à se calmer, elle avait la sensation d'avoir fait une erreur. Pourquoi lui avoir fait une cour si assidue si il ne l'aimait pas ? Juste pour ramener une épouse à ses parents afin de ne pas être obligé d'épouser une inconnue ?

Finalement, c'est Elsa qui lui glissa la possible raison de sa colère et de la soudaine distance de Théodore. La jalousie. Elle l'avait regardé, écarquillant les yeux. Quoi ? Théodore ? Jaloux de Laurent ? C'était absurde. Et pourtant... Prise d'un doute, et ne supportant plus de rester enfermer, d'abord le carrosse puis cette affreuse cabine, elle monta sur le pont d'un pas vif.

L'air marin vint mettre du désordre dans ses cheveux et chatouiller ses joues alors qu'elle s'avançait vers lui, il était méconnaissable ainsi et aussi plus humain.

- Votre Altesse... Je crois que nous devrions parler.

Ah si il voulait être froid, elle le serait aussi. Elle ne se laisserait pas faire.

En entendant la voix de sa fiancée, Théodore se tendit légèrement, soupira avant de se tourner vers elle, appuyant son dos contre le bastingage. Ses yeux la scrutèrent, ce visage, ces yeux, ces lèvres. Il l’aimait de toute son âme, mais la jalousie le rongeait peu à peu. Le prince garda donc un visage fermé, ne faisant pas un pas pour venir la prendre contre lui et la rassurer. Il restait à distance, la peau de ses bras à nues alors qu’il ressemblait plus à un marin qu’à un membre de la royauté. Les cheveux en désordre, la peau de ses joues recouverte d’une fine barbe.

« Et de quoi souhaitez-vous me parler, madame ? »

Le ton n’avait aucune chaleur. Ses gestes non plus. Il repensait sans cesse aux mains du grand mousquetaire sur ses hanches, aux sourires et aux regards échangés. Avec lui, elle n’était pas aussi à l’aise. Guindée. Il ne voulait pas de ça. Il voulait une vraie relation humaine, un amour partagé. Pas juste ce titre et cette fortune. Et si elle préférait ce mousquetaire, alors il préférait la laisser partir… Au risque de briser son coeur à jamais.

« Ne regrettez-vous pas votre départ si précipité ? Il est encore temps de faire demi-tour. On vous y attendra peut-être. »

Il avait pincé les lèvres, donnant à son visage une mine sévère qui ne lui ressemblait guère.

Lisabelle se figea en l'entendant aussi glacial, elle se mordit la langue pour tenter de garder contenance. Elle détourna pourtant le regard, admirant la mer.

- J'aimerais que l'on parle de votre comportement depuis que nous avons quitté le sol français... Je ne crois pas avoir rien fait pour avoir mérité votre mépris.

Elle le regarda alors qu'il lui parlait de partir, les larmes aux yeux :

- Pour ma part je n'ai aucun regret. Seulement je viens de quitter ma terre, ma vie et mes amis. Pardonnez moi mon humeur. Mais peut-être est-ce votre cas. Le mariage est une chose si abstraite pour vous sans doute. Vous ne souhaitez pas vous marier. Surtout avec moi ? Dites le moi si c'est le cas...

Elle se tenait droite, tentait de ne pas montrer sa peine... Mais c'était difficile.

La voir ainsi devant lui fut difficile. Peut-être l’un des moments les plus ardus, puisqu’il dû se contenir pour ne pas s’excuser et la prendre dans ses bras. Toutefois sa fierté le retenait, et sa colère également. Une rage froide envahie ses veines en l’entendant parler, fermant plus encore son visage, ses yeux se plissant déjà sous l’effet de la colère.

« Non, en effet. Je ne souhaite pas épouser une femme qui n’éprouve pour moi qu’un vague mépris, qui me considère comme la cause de son départ, et qui se laisse… aguichée par un misérable sur le port avant d’embarquer sur mon navire ! Pour m’épouser ! Moi ! Théodore de Suède ! »

Le ton était légèrement monté sans qu’il ne s’en rende réellement compte, submergé lui-même par des émotions aussi vives que contradictoires. La voir aussi peinée le rendait malheureux, tout comme se rappeler du mousquetaire le rendait furieux. Et qu’elle le considère comme inconstant, ou que le mariage était pour lui juste une fantaisie de quelques jours.

« Abstraite ?! Me prenez vous pour un enfant pour ne pas avoir prit en compte tout ce que cela impliquait ?! »

Lisabelle écarquilla les yeux en l'entendant, resta sous le choc, n'osant rien dire pendant un long moment. Elle ne parvenait pas à comprendre... Et ses larmes roulèrent d'elles-mêmes sur ses joues sans qu'elle ne les retienne. Elle se sentit trembler, non de froid mais de détresse. Alors qu'elle baissait les yeux vers ses mains, ôtant la bague de fiançailles trônant à son annulaire. Elle ferma les yeux, la lui tendant :

- Je pensais que vous m'aimiez autant que je vous aime votre Altesse. Pardonnez ma méprise... Et la perte de temps qu'elle engendra pour vous...

Elle se détourna alors, arrachant plus qu'elle ne défit sa robe qu'elle laissa tomber sur le pont, trop abattue pour être rattrapée par la pudeur. Expliquant :

-Inutile de perdre plus de temps pour moi. Je rejoindrais le port à la nage.

Elle s'approcha du bastingage, sous le regard médusé des marins, grimpant dessus avant de se tourner vers Théodore :

- Oh fait, ce misérable me vaut dix fois. C'est mon meilleur ami d'enfance, un frère que je n'ai jamais mérité et que j'ai abandonné sans une hésitation pour vous. Et il s'appelle Laurent de Flone. Mas vous avez raison, pourquoi épouseriez vous une misérable vous qui êtes prince si bien né et qui n'avez jamais été entouré que de prince et de gens aussi bien né que vous ?

Elle plongea, sans une hésitation de plus alors qu'Edward, stupéfait était plus occupé à retenir Elsa qu'autre chose en cet instant précis. Il observa Théodore, se demandant ce qu'il s'était passé

Tout s’était passé à une vitesse phénoménale. Il l’avait vu arracher sa bague sans réellement y croire pour la lui tendre, puis l’avait saisit comme dans un état second, ses yeux bruns écarquillés par la surprise alors que soudainement elle se dévêtissait sans grande pudeur aux yeux de tous. En simple chemise malgré le vent froid, elle était montée sur le bois, débitant des paroles à une vitesse folle avant de finalement sauter dans l’océan.

Théodore était resté quelques secondes muet, tout comme le reste du navire qui n’avait guère comprit plus que lui ce qu’il se passait. Seule Elsa s’agitait, essayant de se dégager de la prise d’Edward. Le prince posa doucement la bague sur le bois, étrangement calme, avant de lancer un regard désolé à son ombre. Puis, sans crier garde, il grimpa également avant de plonger à son tour.

L’eau glaciale lui mordit la peau dès qu’il y tomba, mais cela ne l’arrêta pas, mué par une force qu’il ne comprenait guère, il nageait contre le courant qui le ramenait vers la coque en bois. Il ne pouvait entendre l’agitation sur le navire, ni les marins qui jetaient l’ancre en scrutant l’étendue d’eau salée. Lui ne cherchait que Lisabelle, cette femme qui avait tout quitté pour lui et qui par désespoir s’était jeté à l’eau. Pinçant les lèvres avec détermination, il accentua ses mouvements malgré le froid qui l’engourdissait, puis il poussa un cri :

« Lisabelle !! »

A l'âge de 4 ans, Henri de Saverne avait jeté sa fille de la falaise. Non pour se débarrasser d'elle, mais pour lui apprendre à nager. Une méthode radicale pour l'aider à vaincre la peur de l'eau. L'enfant voyait tant les faucon en peine quand ils étaient mouillés qu'elle craignait même qu'un bain ne la clou au sol. Cette naïve supposition toute fondée bien que fausse avait fini par excéder le baron. Mais l'enfant, s'en été bien sortie finalement et après quelques mois d'entraînement, plongeait elle-même de cette même falaise au sommet de laquelle volait ses oiseaux favoris.

Sauter du navire ne lui avait donc posé aucun problème. Elle avait forcé suffisamment sur ses jambes pour s'éloigner de la coque et avait à peine fait bouger l'eau quand elle l'avait touchée. Le contact de l'eau glacé la remit d'aplomb un peu. Elle commença à nager, mais en réalité, elle n'avait aucune intention de rejoindre le port. Sans avoir une destination pour autant, seul comptait le fait de s'éloigner de ce navire. Elle suivait donc le courant plutôt que de lutter contre... ce jusqu'à ce qu'elle sente une main saisir sa cheville... Elle écarquilla les yeux en se faisant tirer en arrière... Se retourna vers... Théodore ?!

- Que voulez vous encore ?

Elle remarqua alors l'agitation sur le pont du navire. Edward appelait, fou d'inquiétude, leur ordonnant de remonter immédiatement. Mais entre le vent et le bruit de l'océan elle ne l'entendait qu'à peine...

Théodore avait cherché plusieurs minutes, économisant son énergie, avant de la repérer à plusieurs mètres de là. Il avait alors nagé de son mieux malgré le froid qui l’engourdissait, jusqu’à sentir la peau de la cheville de la jeune fille, l’attirant à lui avec fermeté. Elle se retourna, visiblement surprise de voir que le prince l’avait suivit jusque-là. Qu’il aimerait pouvoir lui dire qu’il la suivrait jusqu’en Enfer s’il le fallait ? Il l’aimait. Malgré sa jalousie, malgré son comportement, malgré ses paroles. L’eau les envoyaient plus loin, les vagues les conduisant avec le courant plus loin des côtes et du navire. Mais qu’importait s’il pouvait la tenir entre ses bras.

« Je suis venu vous sauver. », lâcha-t-il un peu bêtement, se maintenant à la surface grâce au mouvement frénétique de ses pieds.

Le suédois avait apprit à nager de lui-même, le contact avec l’eau n’étant guère la chose que l’on apprenait nécessairement à un prince. Les jeux de l’enfance lui avait permis de se former au contact de l’eau. Et fort heureusement, parce que cela lui avait permis de la rattraper. Il n’entendait pas Edward, il ne la voyait qu’elle et sa bêtise. Il soupira,

« Je vous aime Lisabelle. Alors si vous tenez à vous noyer ici, je me noierai avec vous. Si vous voulez rejoindre le bord, je vous suivrai. Et si vous souhaitez remonter sur le navire je viendrai avec vous. Mon destin dépend de vous. »

Lisabelle l'écouta, le regardant, l'eau glacé lui chatouillait les pieds dans une désagréable sensation de fourmillement à présent que sa colère retombée ne lui tenait plus chaud et qu'elle restait presque immobile à la surface de l'eau.

Elle se mordit la langue quand il lui déclara l'aimait, elle se demandait bien qu'elle sorte d'amour s'était pour lui reprocher d'avoir des amis et un passé. Voulait-il l'enfermer à jamais au sommet d'une tour ?

Elle grimaça à cette idée, prenant une grande inspiration avant de se lancer dans un monologue.

- Théodore. Je vous aime aussi. Mais aujourd'hui j'ai tout quitté pour vous. J'espérais pouvoir compter sur votre soutien comme je suis prête à vous apporter le mien dans les épreuves que vous traverserez. J'espérais que vous compreniez que pour avoir été soldat j'avais des liens parmi ces hommes. Mais qu'aucun n'était comparable à vous dans mon coeur. Je ne suis pas née princesse même si je l'étais de par ma naissance. J'ai connu la faim. J'ai connu le dénuement le plus total. Mes valeurs sont plus simples que les votres sans doute, je m'en excuse. Mais elles sont aussi vraies que moi. Et si je dis vous aimer c'est que c'est le cas.

Elle toussa en avalant la tasse, le regarda :

- Si tu ne veux pas de moi maintenant. Noies moi toi-même et rentres chez toi.

En la sentant s’échapper à cause du courant, Théodore avait raffermit sa prise contre ses hanches, la rapprochant de lui malgré tout, l’observant avec attention alors qu’elle lui clamait son amour avec plus de passion qu’elle ne l’avait fait jusqu’à alors. Et le prince la croyait. C’était pour toutes ces raisons qu’il était tombé amoureux. Pour rien au monde il aurait souhaité échangé son passé. Cela ne l’empêchait pas de penser à ces hommes avec lesquels elle avait partagé des instants. Des moments qu’il n’avait pu vivre avec elle.

N’y tenant plus en entendant sa dernière réclamation, si jamais il ne l’aimait plus, il passa une main trempée sur la joue humide de la jeune femme avant de poser un bref baiser sur ses lèvres, pressant son front contre le sien, la maintenant hors de l’eau de l’autre.

« Je suis un imbécile, un égoïste. J’ai des milliers de défauts, mais tu es celle qui me rend meilleur. Qui me rendra meilleur. Sans toi, cela n’aurait aucun sens. Crois-moi quand je te dis que je t’aime, car il n’y a pas plus grande vérité que celle-ci. »

Ses lèvres devenaient bleues à cause du froid, et malgré le fait qu’il agite les pieds frénétiquement, il s’épuisait. Cherchant le bateau des yeux, il l’aperçu s’approcher prudemment du jeune couple. S’ils devaient continuer cette conversation, ce serait sur le bateau. Au chaud, sous des couvertures. Plus qu’un effort était nécessaire.

« Accroches-toi à mes épaules, je vais nager jusqu’au navire. »

Heureusement qu'il la tenait parce que sans cela, elle aurait aucun doute coulé à pique quand il posa un baiser sur ses lèvres. Leurs lèvres étaient plus glacées les unes que les autres et elle se mordit la langue en réalisant ce qu'elle lui avait fait faire. Pivoine, l'émotion la réchauffa un peu avant qu'il ne lui dise de s'accrocher à ses épaules mais il n'en était pas question, elle commença à nager vers le navire.

Ses muscles engourdis auraient certainement tétanisés si elle l'avait écouté en plus de lui demander un effort supplémentaire. Elle se saisit bientôt de l'échelle de corde, le regardant avant de grimper souplement les barreaux, dans une grace féline. Il n'était pas difficile en cet instant de l'imaginer monter aux toits de Paris.

Dès qu'elle atteignit le pont, Edward passa autour de ses épaules une épaisse couverture, tant pour la préserver de la vue des marins, qui en avaient déjà bien assez vu comme ça à ses yeux que pour s'assurer qu'elle ne prendrait pas froid. Elle regarda Théodore qui subit le même traitement.

Pourquoi ne fut-il pas étonné lorsqu’elle s’entêta à nager seule ? Théodore allait visiblement épouser une femme déterminée, et cela lui plaisait – même s’ils se trouvaient actuellement en grand danger. Ils parvinrent toutefois à se rapprocher du navire, et le prince attendit que sa fiancée parvienne sur le pont avec une certaine grâce, avant de lui-même s’accrocher à l’échelle de corde. Ses membres engourdis ne lui facilitaient pas la tâche, mais il parvint bientôt à s’affaler sur le bois, le souffle rendu court par l’effort et le froid. Une couverture s’abattit soudain sur lui, et une paire de main s’attachait à le réchauffer, tandis que lui ne cherchait des yeux que Lisabelle. Soulagé.

Elsa s’était penchée sur sa compagne, la frictionnant énergiquement avant d’essayer de la convaincre de se retirer à l’abri du vent. Théodore repoussa Edward pour se rapprocher de sa fiancée, hésita avant de la prendre contre lui, fermant les yeux en lovant son visage dans sa nuque.

« Ne me fais plus jamais ça. Plus jamais. »

Il tendit une main, où l’on déposa la bague qu’il avait laissé plus tôt, la repassant fébrilement au doigt de la jeune femme tandis que l’on continuait de les réchauffer. Il aurait pu mourir de froid tant que c’était dans ses bras.

« Je suis désolé. »