Wild Hunt

Depuis la révélation de la veille, les jeunes gens avaient eu grand peine à se quitter, subjugué par le trouble qui les avait envahis alors, cette sensation profonde de s’être toujours vu et connu et cela malgré la distance et le peu de temps durant lequel ils avaient pu se côtoyer. Toutefois, il avait fallu trouver le sommeil pour honorer la chasse, le lendemain. Et Théodore ne trouva pas la jeune femme soldat à son réveil. Après avoir fait appeler Edward, il s’était finalement habillé de convenance avec de grandes bottes de cavalerie et un vêtement de chasse sobre mais confortable. Puis, ils avaient rejoint le palais de Saint-Germain.

Dehors attendait déjà tout un vaste équipage, composé de privilégiés. Il repéra notamment Henriette d’Angleterre et sa suite, tout près du roi, mais aussi l’époux de celle-ci : Philippe d’Orléans accompagné de son amant le chevalier de Lorraine.

Le prince s’était évidemment incliné, selon l’exigence de l’étiquette puis avait gratifié le roi de quelques compliments d’usage avant de rejoindre sa monture. Pourtant, ses yeux ne la cherchaient qu’elle – qui avait promis de se joindre à eux. Lisabelle de Saverne avait bouleversé son existence, tout ce qu’il croyait savoir de lui-même ou des autres. Il se sentait exister dans son regard, il se sentait homme de chair et de sang, tout comme il la percevait comme la plus magnifique créature ayant frôlé cette terre. Piaffant d’impatience, sa monture racla le sol alors que l’on approchait les chiens. La chasse allait bientôt commencer. Pourtant, il y avait des retardataires, puisque la duchesse d’Orléans commençait à pester :

« Où est cette diablesse d’Elsa ! C’est la seule qui monte correctement parmi celles de ma suite, et elle est en retard ! »

Depuis la veille, Lisabelle était sur un petit nuage, elle n'avait d'yeux et de pensées que pour son prince. Mais il était justement prince et si elle avait un petit titre de noblesse, elle ne serait jamais assez bien pour lui. C'était cette idée-ci qui la préoccuper la veille au soir quand elle avait regagné sa chambre, se blottissant confortablement dans ses draps.

Au petit matin, ils avaient gagné Saint-Germain en prévision de la chasse prévue et là, elle s'était isolée pour se changer, passant une robe qui dans un autre temps avait dû être ravissante et mise en valeur les courbes plus généreuses de sa mère. Pour sa part, elle avait toujours l'impression de flotter dans un nuage de tissus plus que de porter une robe mais elle ne s'imaginait pas que ce soit en raison de la coupe, mal adaptée à sa propre morphologie.

Après s'être coiffée rapidement, elle avait pris le chemin de la cour, souhaitant rejoindre l'équipage de la chasse sans se faire remarquer, peine perdue. Sa robe attira l'oeil d'une jeune femme qui après l'avoir réprimandé pour son manque de goûts - après tout, qu'y connaissait-elle ? -, l'avait tiré après elle pour arranger la chose. Elle lui avait alors prêté une de ses propres robes et avait veillé à la rendre présentable à la grande surprise de la jeune femme qui se contentait d'opiner sans rien comprendre à tout ce qu'elle pouvait lui expliquer.

Finalement, son oeuvre achevée, la courtisane s'était écarté pour l'observer de haut en bas, jugeant son travail tout à fait honorable, elle lui avait alors tendue une main amie pour la guider dans la cour. Elles étaient visiblement bonnes dernières et leurs arrivée fut donc largement remarqué, surtout quand Henriette d'Angleterre se plus à les rabrouer. Lisabelle, pivoine et confuse s'était donc rapidement avancée vers sa monture, montant en selle aussi bien que sa robe le lui permettait, regardant les autres dames de la cour pour tenter de comprendre comment positionner ses jambes, c'était d'un barbare !

Comme toujours – et à son plus grand déplaisir – Elsa était de la partie. La duchesse d’Orléans prenait visiblement un malin plaisir à ne pas lui laisser un instant de répit, et l’avait fait levée à l’aube pour venir assister à la chasse donnée par le roi. La jeune femme s’était donc vêtue d’une robe simple, puis elle avait géré le transport des multiples malles allant jusque Saint-Germain avant de tenter de somnoler discrètement dans le carrosse. Toutefois, les babillages d’Henriette d’Angleterre l’empêchaient de grapiller quelques once de repos, ce qui força la jeune anglaise à sourire et à tenter de conserver une figure charmante malgré les réprimandes de sa « maîtresse ».
Elsa aurait largement préféré la quiétude d’une retraite à la campagne, mais pour des raisons politiques qu’elle comprenait aisément, elle devait se contenter de cette place pour laquelle d’autre aurait tué.

Une fois arrivée au palais, elle avait de nouveau supervisé l’installation des vêtements de la Duchesse, puis avait pris un peu de temps pour se changer. Adoptant une tenue de cavalière rouge et or qui marquait avec élégance sa taille, Elsa avait toujours l’air fraîche comme une rose, et cela malgré son manque de sommeil et de préparation. Le privilège de l’âge, et de la beauté délicate de l’anglaise qui n’en avait pas tout à fait conscience, et qui lui valait la haine d’Henriette.

Elle s’apprêtait donc à rejoindre d’un bon pas l’équipage qui devait attendre lorsqu’elle croisa le chemin d’une jeune femme si horriblement vêtue qu’elle ne pu se résoudre à la laisser se ridiculiser. Seigneur, comment pouvait-on porter une robe de ce style à leur époque si civilisée ? Elle l’avait donc abordé avec douceur, avant d’arranger ce désastre.

Quelques minutes plus tard, les jeunes femmes firent une apparition dans la cour. Ayant courues de crainte d’être en retard, les demoiselles avaient les joues rougies sur leurs teints pâles. Et Elsa s’était empressée de s’incliner profondément devant le souverain alors que la Duchesse se plu à leur faire les plus grands des reproches.

« Vous devriez avoir honte de nous avoir fait attendre ! Mademoiselle de Norfolk devrait apprendre à être plus ponctuelle. »

La blonde marmonna quelque chose dans sa barbe avant de se redresser, attendant que l’on vienne l’aider à se mettre en selle, positionnant ses jambes avec habitude – plutôt bonne cavalière. Jetant un coup d’œil à Lisabelle visiblement en détresse.

« Essayez de mettre vos jambes convenablement avant de mettre les étriers. La cuisse au-dessus de l’autre.. Est-ce votre première fois en Amazone ? »

Quand la jeune femme qui l'avait aidé à se vêtir monta en selle non loin d'elle, elle la regarda faire, acceptant ses conseils bienveillants en s'efforçant de trouver une position stable sur sa selle. La regardant en lui faisant comprendre d'un signe de tête qu'en effet, avant ce jour, elle n'était jamais montée en amazone. Et une part d'elle lui disait qu'elle ne réitérerait pas l'expérience de si tôt passé cette chasse. C'était si inconfortable.

On lâcha bientôt les chiens et les chevaux s'élancèrent dans un même mouvement en direction des bois. Dans un premier temps, Lisabelle avait assuré son équilibre, prenant lentement confiance en elle, observant, loin devant, le prince de Suède. Le voir l'aida à oublier un peu son inconfort et rendit l'épopée plus agréable. Elle hésita en regardant la demoiselle de compagnie d'Henriette d'Angleterre, se présentant :

-Lisabelle de Saverne...

Elle lui sourit doucement, un sourire sincère, un peu timide peut-être. Mais qui aurait valu tous les merci du monde.

Lorsque les chiens furent lâchés, Elsa s’élança souplement dans un galop totalement maîtrisé, observant la jeune femme qui se tenait à quelques pas et qui visiblement n’appréciait guère cette première expérience. Suivant le mouvement de sa monture, tenant les rênes d’une main experte, elle se tourna légèrement vers sa comparse qui jugea utile de faire les présentations. Un sourire étira alors les lèvres de l’anglaise s’étirèrent en un charmant sourire qu’elle agrémenta également d’une présentation en bonne et due forme.

« Elisabeth de Norfolk, mais appelez-moi Elsa je vous en prie. »

Elle entendit un premier coup de feu au loin, tenta de ne pas se crisper – nullement à l’aise avec les armes. Elle aperçu un des Suédois de la délégation arrivée en sang il y a trois jours faire feu. Difficile de dire de qui il s’agissait, néanmoins il devait avoir visé juste puisque les serviteurs qui les accompagnaient s’empressèrent de venir récupérer ce premier butin. Elsa en profita pour se pencher vers sa compagne.

« Si vous voulez mon avis, je préfère largement monter comme ces messieurs, mais il semblerait que cela offenserait leur pudeur de voir que nous sommes capables d’avoir les mêmes prédispositions qu’eux pour les chevaux. »

Théodore était resté en selle, impatient, continuant de scruter avec attention les dames déjà présente dans l’espoir de capter le regard de sa belle. Toutefois, elle n’était pas encore arrivée – de cela il en était certain – et une pointe de désespoir envahi le cœur de l’amoureux transi. Comment avait-il pu seulement respirer sans elle ? Il ne le savait aujourd’hui. Mais lorsque soudain deux jeunes femmes échevelées apparurent dans la cour, rabrouée immédiatement par la Duchesse d’Orléans, le prince ne parvint qu’à sourire. Aussitôt, il l’avait reconnue malgré ce vêtement inhabituel qui saluait des courbes à peine visibles la veille.

Le Suédois avait hésité à descendre de selle pour venir l’aider, mais on le devança vivement. S’agaçant d’une maigre moue, il avait suivi le début de la chasse, restant au côté de son cousin et de son ami qui chevauchaient à ses côtés. Mais Théodore ne parvenait à se concentrer sur la chasse, malgré le roi qui tâchait d’entretenir la conversation. Il ne cessait de jeter des regards en arrière dans l’espoir de capter un regard, et aurait tout donné pour pouvoir se tenir au côté de la baronne de Saverne.

Un coup de feu le surprit toutefois, alors qu’un renard s’effondrait au sol. Distrait par la présence de la jeune femme, il n’avait même pas eu le temps de dégainer.

Lisabelle sourit à la dite Elsa quand elle se présenta et lui donna son ressentit sur la raison pour laquelle on imposait au femme de monter en amazone, amusée et tout à fait de son avis.

Elle avait sursauté en entendant le coup de feu, ne s'y attendant pas en cet instant. Son regard chercha aussitôt Théodore, prête à planter ses talons dans le flanc de la monture, amazone ou non pour le rejoindre en cas de problème. Elle n'aurait pas supporté qu'il lui arrive quelque chose. D'ailleurs en le voyant un peu désarçonné, elle pâlit, son regard fouillant la scène en quête de danger. Le renard était passé à quelques pas de lui, un peu plus et c'était sa monture qui aurait été touchée, l'idée fit battre son coeur plus vite.

Elle devait trouver un moyen de s'approchait, coûte que coûte... Au coup de feu suivant, un peu plus tard, elle planta son talon, la bête déjà inquiétée par le bruit du coup de feu s'affola, elle s'accrocha à sa crinière fermement alors que l'animal fonçait droit devant...

Le jeune homme avait donc repris la chasse. Ils auraient tout le temps de se retrouver après tout, même si la durée de son séjour en France était comptée. La présence de la jeune femme aimée dans les rangs des chasseurs ne cessait pourtant de le ramener à elle. Chaque seconde, de chaque instant. Cette envie de se découvrir et e parler jusqu’à ce que le monde finisse par les oublier… Tout cela suffisait à son bonheur. Mais le lieu ne s’y prêtait guère, et sa distraction grande alors qu’il tentait de faire la conversation au souverain à ses côtés.
Un second coup de feu fracassa alors le silence, faisant faire un écart à sa monture alors que derrière soudainement des cris s’élevèrent. Le prince écarquilla les yeux en voyant le cheval de Lisabelle foncer sur le groupe, affolé. Théodore pinça les lèvres avant de se lancer à sa poursuite, n’écoutant que son courage tout en faisant fi des conseils d’Edward qui lui ordonnait de ne pas bouger.

Galopant dans cette forêt inconnue à la poursuite de la jeune femme, ils s’éloignèrent du groupe resté en retrait. Apparemment une dame avait chuté de selle dans la cohue, ce qui captait toute l’attention de ces messieurs. Mais lui ne voulait que retrouver son coup de foudre, et il ne tarda guère à la rattraper. Tendant une main vers les rênes en se penchant dangereusement par-dessus sa monture, il tira bientôt sur les liens de cuirs, stoppant lentement les deux animaux. Les deux jeunes gens désormais en tête à tête.

« Lisabelle… Allez-vous bien ? »

Lisabelle n'avait pas prévu un détail : tenir en selle dans une telle situation relevait plus du miracle que de l'exploit. Elle s'agrippa donc à la selle et à l'encolure de l'animal, ayant perdu les rênes dans un sursaut.

Elle aurait sans doute fini par chuter sans l'intervention du Prince qu'elle remercia en se remettant droite sur sa selle, opinant :

-Oui... Je voulais seulement m'approcher. Mais il ne l'a pas entendu de cette oreille. Merci...

Elle lui sourit doucement en posant une main sur la sienne, se mordant la langue avant de sourire :

-Je crains avoir interrompu votre chasse... Mais je suis heureuse de vous voir...

Elle tenta de passer une mèche de cheveux sombre derrière son oreille, peine perdu vu l'état de sa coiffure. Elle soupira, encore une fois, la réalité lui rappelait qu'elle était meilleure en homme qu'en femme. Mais son coeur n'écoutait plus cette voix raisonnable depuis la veille.

Théodore reprenait calmement sa respiration tout en ne cessant de la dévorer du regard. Les joues rougies par la course, les cheveux légèrement défaits. Elle était magnifique, et il ne pouvait que le constater tandis qu’elle posait sa main sur la sienne. Venant presser sa paume contre la sienne, il la porta rapidement à ses lèvres pour la rassurer.

« Vous n’avez rien interrompu. Loin de là. Je suis ravi de pouvoir m’entretenir avec vous en tête à tête – bien que je doute que cela puisse durer longtemps. »

Il relâcha doucement sa main, bien à regret, mettant calmement pied à terre pour s’approcher de la jeune femme en lui tendant les bras.

« Venez. Essayons de leur rendre la tâche plus difficile. Et après tout, je ne quitte pas mon protecteur. »

Un sourire insolent étira ses lèvres, espérant qu’elle accepte de fuir quelques instants à ses côtés afin de les laisser profiter quelques instants l’un de l’autre. C’était sans doute un rêve inespéré, mais il ne pouvait que grapiller du temps.

Lisabelle avat été surprise que l'on pose un baiser sur sa main... Ce... Ce devait sans doute être la première fois... Ou du moins, si jamais, elle ne s'en souvenait pas. Elle le laissa pourtant faire avant de retirer ses doigts des siens quand il les relâcha, silencieuse en l'observant.

Elle lu dans ses yeux un éclair de malice avant qu'il ne pose soudainement pieds à terre, lui proposant de s'échapper encore un instant à leurs obligations respectives. Elle lui sourit, opina en prenant appuie sur son bras pour se laisser glisser de selle. Même cela était plus compliqué ! Se réceptionnant de son mieux, non sans se rattraper à son épaule, elle se redressa et lui sourit :

-Et où comptez-vous aller votre Altesse ?

Elle lui sourit doucement, s'écartant de lui avec pudeur pourtant. Sans le quitter des yeux ou lâcher ses doigts pourtant...

Le prince fut ravi de la sentir glisser entre ses paumes. L’aidant à mettre pied à terre, il avait pris sa main et glissé une main autour de sa taille, restant corps contre corps un bref instant avant qu’ils ne s’écartent l’un de l’autre. Un peu embarrassés l’un et l’autre malgré leurs doigts qui ne parvenaient à se séparer. Théodore serra sa main dans la sienne, le sourire dans ses yeux descendant sur ses lèvres alors qu’il répondait :

« Avec vous ? Au bout du monde. »

Il la tira alors doucement après lui, suivant un sentier avant de se décider pour s’avancer dans une clairière à l’abri des regards, en partie dissimulée par la végétation. Il ouvrit un chemin à Lisabelle, tenant une branche avant de continuer le chemin, mêlant ses doigts aux siens alors qu’ils pénétraient dans une étrange grotte d’où descendaient des stalactites. Le Suédois s’arrêta donc, satisfait de ce choix, puis se tourna vers la jeune femme.

« Vous ais-je dit à quel point votre identité féminine vous réussit ? Vous êtes… »

Il hésita sur le mot à choisir, prenant son autre main dans la sienne.

« Magnifique. »

Au bout du monde... Cette phrase raisonna à son esprit comme un échos alors qu'elle lui emboitait le pas sans protester, se laissant guider et tentent souplement d'esquiver les branchage, malgré sa robe encombrante.

Elle descendit le sentier après lui, leurs doigts noués, jusqu'à l'entrée d'une grotte, étrange au coeur de cette nature verdoyante. Ce n'était peut-être pas le bout du monde, mais c'était leur coin du monde en cet instant. Elle lui abandonna sa seconde main alors qu'il formulait des mots qu'elle ne pensait pas entendre un jour, si bien qu'elle le regarda dans une moue surprise :

- Vous vous moquez ?...

Elle rougit pourtant légèrement. se mordant la langue, elle se sentait si ridicule... Surtout en cet instant ou son teint était brouillé par l'adrénaline de plus tôt et son trouble et ses cheveux totalement défaits. Mais penser qu'il la trouvait belle, qu'elle était belle aux yeux de quelqu'un... Cela est toujours plaisant, et elle n'en avait pas souvent l'impression.

Théodore la contempla avec surprise alors qu’elle rougissait devant le maigre compliment qu’il venait de lui offrir. Il serra ses paumes plus fort.

« Me moquez ? Lisabelle, vous ne pouvez ignorer ce que vous êtes, et vous êtes une jeune femme magnifique à mes yeux. »

Le prince sourit légèrement, retira une main de la sienne pour venir effleurer une mèche de cheveux qui s’échappait de la coiffure parfaite de plus tôt. C’était ses imperfections aussi qui lui plaisait. Il l’aimait. Il pouvait se l’avouer même s’il ne se sentait pas encore le courage de le clamer aux yeux du monde. Pourtant, il en avait tous les symptômes. Rêveur. Ailleurs. Son cœur ne cessait de s’emballer en sa présence, et il ne souhaitait plus jamais la quitter.

« En particulier lorsque vous êtes vous-même. Les cheveux défaits, votre peau rougie par votre mésaventure. Votre souffle court. Vous n’êtes pas comme les autres… et c’est en cela que vous êtes spéciale pour moi. »

Il glissa une paume sur la joue chaude, la peau lisse et féminine.

Lisabelle l'écouta avec une grande attention bien que son trouble ne fit que croître durant ces paroles. Le laissant glisser une main dans ses cheveux, ses doigts effleurer sa joue rougie, elle sourit doucement, se laissant faire, apaiser par ses gestes doux.

Elle aussi était vraisemblablement amoureuse. Mais que signifiait cela en vérité ? Elle se sentait une nouvelle personne, elle se sentait plus libre, elle baissait sa garde, il avait envahie son esprit sans avoir à abattre les remparts de sa carapace par la force.

Toutefois, elle n'oubliait pas qu'il repartirait bientôt. Et qu'il la laisserait alors. Elle n'était qu'une figure exotique pour lui à sa manière. Du moins, elle le craignait en cet instant. Elle sentit son coeur se serrer à l'idée de son départ, serra plus fort sa main pour s'y raccrocher.

La pression exercée sur sa paume lui fit froncer les sourcils. Et le prince perçu aisément le trouble qui venait orner le regard de la jeune femme dressée devant lui. Répondant à ce qui ressemblait à une once de détresse, Théodore hésita avant de stopper sa caresse sur sa joue, suspendant son geste.

« Qu’il y a-t-il ? A quoi pensez-vous ? »

Il craignait qu’une telle expression de ses émotions, ou qu’un étalage de compliments ne puisse l’avoir gêné. Peut-être ne ressentait-elle pas la moitié de ce que lui ressentait pour elle ? Pourtant, le prince était persuadé du contraire, en raison des regards et des paroles échangées. De cette plénitude qui régnait dans ce lieu hors du temps.

Il effleura le dos de sa main du pouce, inquiet de sa réponse en réalité.

Lisabelle n'avit jamais laissé derrière elle que des morts ou des mourants, leur dire adieux étaient douloureux mais rationnel. Hors, elle réaliser que cette fois-ci, c'était différent. Il allait partir, partir pour toujours. Et la vie reprendrait son court. Sauf qu'elle n'y arriverait pas. Sa vie ne pourrait redevenir ce qu'elle était. Cette rencontre l'avait marquée au plus profond d'elle-même.

Son trouble fut visiblement visible puisque Théodore suspendit son geste et posa une main sur la sienne, s'inquiétant de ce qu'il venait faire passer un nuage si gris dans ses yeux bleus.

Elle soupira en le regardant, força un sourire en caressant sa joue avant de faire ce que l'on fait au chevet d'un cadavre : Lui révéler ce que lui hurlait son coeur. De toute manière, qu'avait-elle encore à y perdre ?

- J'ai beau tenter de ne pas y penser... Mais je sais que votre séjour en France ne durera pas encore très longtemps... Et vous êtes prince. Alors vous partirez, accomplir votre devoir, vous marier... Vous m'aurez rapidement oubliée... Alors que je ne le pourrais jamais. Parce que... Parce que je vous aime.

Elle libéra sa main pour essuyer les larmes qui menaçaient de couler de ses yeux.

Le sourire qu’elle lui offrait semblait douloureux, mais la main caressante qu’elle porta à sa joue lui fit immédiatement perdre toute inquiétude. Comment pourrait-il vivre sans ses mains ? Sans ses mots ? Sans cette relation ? Cela lui était impossible. Il le savait. Alors, lorsqu’elle se décida à lui révéler ses inquiétudes – et par là ses sentiments – Théodore en resta abasourdi. Elle l’aimait. Il ne s’était donc pas trompé dans ce qu’il croyait voir. Mais cette crainte de le perdre la dominait, et il ne pouvait lui en vouloir… Lui-même se refusait à envisager un départ. Encore moins sans elle. Aussi, en la voyant tenter de retenir des larmes il vint prendre sa main pour cette fois venir la prendre dans le creux de ses bras.

« Lisabelle, écoutez-moi. Oui, je suis prince. Et oui, je vais devoir partir un jour ou l’autre. Toutefois, je vous aime moi aussi. De tout mon cœur. De toute mon âme. Je ne veux pas que vous pensiez être un jeu. Un amusement. Je n’ai jamais ressenti cela pour quiconque, pour vous qui me voyez homme avant mon titre. Qui m’aimez malgré de flagrants défauts. »

Il la gardait doucement contre lui, posant ses mains autour de sa taille, la regardant avec une pointe d’émotion dans le regard. Il y a un an, il n’aurait jamais pensé prononcer ces mots un jour. Et pourtant…

« Pour vous, j’abandonnerai mon titre, mon royaume. J’abandonnerai tout si vous acceptez de m’épouser. »

Edward, après avoir été dans l'incapacité de raisonner et de retenir son pupille lorsqu'il s'était élancé à la poursuite de celle qui visiblement faisait battre son coeur avait été retenu par un autre évènement : la chute d'une courtisane, de la suite d'Henriette d'Angleterre et il avait fallut gérer la panique général, calmer les chevaux notamment. Toutefois, il était rapidement parti à la recherche des deux tourtereaux.

Mais quelle mouche était passé par l'esprit de Théodore cette fois-ci ? On lui avait demandait de se trouver une épouse, certes, mais de la à ce qu'il tombe sous le charme d'un petit soldat - de sexe féminin, cela s'entend. Edward soupira. Il ne connaissait rien de cette fille, de ses ambitions, de ses motivations. Et pour lui, personne n'aimait un prince sans une certaine idée en tête. Pouvoir et richesse se négociait aisément dans les couches royales.

Quand il avait trouvé les chevaux mais non leur propriétaire, il avait pincé les lèvres et les avait traqué dans les bois, trouvant une trace de pas récente, il l'avait suivit, arrivant à l'entrée d'une grotte au moment où Théodore et la jeune femme, dans ses bras, échangeaient des paroles engageantes. Pinçant les lèvres, profitant du trouble provoqué par la déclaration du Prince chez Lisabelle - qui était visiblement une excellente comédienne, et probablement une espionne du Roi de France ayant trouvé intéressant d'avoir un oeil et une oreille chez ses ennemis - il se racla la gorge en s'avançant :

- Il est temps de rejoindre la chasse. Je suis heureux de voir que vous tenez debout mademoiselle.

Son ton était froid. Il lui tirerait les vers du nez plus tard, plus discrètement. Mais il n'était pas question que son prince épouse une catin française à la solde d'un roi ennemi dont les ambitions sur l'Europe étaient claires.

Théodore n’avait nullement entendu l’entrée de son ombre de la grotte, bien trop anxieux à l’idée d’entendre une réponse négative de la part de l’élue de son cœur. Mais lorsqu’Edward fit irruption dans la conversation, le prince se retint difficilement de le frapper. Pourquoi devait-il toujours apparaître au moment les moins opportuns ? Le Suédois pinça les lèvres en se tournant vers son ami et garde du corps personnel.

« Je crois que nous ne manquons à personne Edward. Attends-nous dehors je te prie. »

Ce n’était pas une demande, mais plutôt un ordre alors que le prince arborait une mine sévère qui ne lui ressemblait guère. Ne pouvait-il comprendre que cette femme était importante à ses yeux ? Théodore connaissait suffisamment son ami pour savoir qu’elle ne lui plaisait guère – ou du moins qu’il se méfiait. Il oubliait aisément que cette femme s’était sacrifiée pour lui, et qu’elle aurait pu tout aussi bien y perdre la vie.

« Dehors. »

Edward plongea son regard dans celui du prince, ne bougeant pas pourtant malgré son ordre. Il avait un devoir envers lui qui passait avant ses caprices princiers. Et il ne se démonta pas :

- Tu n'as qu'à rejoindre la chasse. Je vais m'occuper de la raccompagner au palais.

Il n'avait pas plus posé la question que son ami. Un duel semblait s'être engagé entre les deux hommes. Qui cèderait le premier ? Edward pinça les lèvres, réfléchissant à un moyen de gagner du temps. Et il avait le meilleur :

- Puis c'est pas comme si c'était la première fille que tu demandais en mariage. Et ce n'st pas parce que tes parents t'ont demandé de ramener une épouse à notre retour qu'ils accepteront que tu fasses d'une paysanne ta femme.

Blesser une femme était si facile... Lisabelle avait réagit mieux encore qu'il ne l'avait espéré en détournant le regard. Elle s'écarta du prince en se reculant, se détourna pour quitter la grotte, jouant les effondrée, il en avait vu d'autres. Et un petit mensonge valait bien la sécurité de son pupille.

Ils s’étaient scrutés pendant plusieurs instants. Deux caractères bien à eux, qui ne demandaient parfois qu’à entrer en conflit. Et ce fut le cas aujourd’hui. Théodore s’apprêtait à rétorquer lorsque son meilleur ami fit en sorte de réduire en miette le moindre de ses espoirs. Son cœur se serra dans sa poitrine alors qu’il vit le visage de Lisabelle se décomposer. Non, il ne lui avait pas avoué qu’il devait se marier… Ce n’était pas un mensonge, mais une simple omission. Il ne voulait pas qu’elle puisse penser qu’il faisait cela par simple désespoir. Et pourtant, Edward venait d’écraser son seul et unique désir du talon.

La gorge nouée, il avait senti la jeune femme s’extirper de leur étreinte, puis se détourner pour fuir. Le sang du Suédois ne fit qu’un tour, et il saisit le soldat par le col de son veston, le repoussant contre une des parois de la clairières avant de murmurer d’une voix menaçante.

« Tu n’es qu’un beau salopard Edward. »

Il le bouscula avant de se précipiter à l’extérieur, cherchant du regard Lisabelle. Elle ne pouvait être bien loin, du moins l’espérait-il… S’il la perdait, jamais il ne pourrait le lui pardonner.

« Lisabelle ?! »

Lisabelle en entendant Edward avait perdu toutes couleurs, elle avait sentit son coeur se briser dans sa poitrine avec la même assurance qu'une tasse en porcelaine s'écrasant au sol. Elle avait préféré fuir... Que lui restait-il d'autre à faire... ? Elle lui avait offert son coeur et il n'avait fais que se moquer d'elle. Une part d'elle ne parvenait pas à croire qu'il n'ait pas pensé les derniers mots qu'il lui avait dit pourtant... Mais elle mis cela sur le compte de l'aveuglement dû à ses sentiments.

Courant parmi les bosquets en retroussant ses jupes, elles ignorait les ronces qui mordaient le tissu. Tentant de contrôler le flot de ses larmes, elle s'arrêta en se retrouvant fasse à un cour d'eau, elle n'avait aucune chance de parvenir à le traverser... Et elle le sentait déjà arriver sur ses talons... Elle ferma les yeux :

- Votre Altesse... Je vous en prie... Laissez moi... Vous n'avez peut-être jamais compris tout le mal que vous pouviez faire... Mais vous en avez fait bien assez auprès de moi.

Elle s'était révélée à lui, elle avait enfin oser s'assumer... Se regarder dans le miroir... Elle devrait peut-être s'abandonner aux eaux agitées qui dévalait la pente sous ses yeux... Dieu avait-il placé ce bras de fleuve ici pour lui tendre une main ? Elle soupira. L'amour était une folie.

Théodore s’était élancé à sa suite, à pied. Recueillant aisément les indices laissés sur son chemin, le prince parvint rapidement à rejoindre sa piste, courant à en perdre haleine dans l’espoir de pouvoir lui expliquer tout ce qu’elle venait d’entendre – et qui l’avait lui-même brisé. Il la voulait, plus que tout autre. Sans elle, il ne pourrait trouver le bonheur, il le savait au plus profond de lui-même.

Soudain, le bruit de l’eau parvint à ses oreilles. Les remous violents ne laissaient présager rien de bon, et lorsqu’il l’aperçu – penchée au-dessus du vide – son cœur bondit dans sa poitrine. Elle ne pouvait être aussi désespérée… Et en même temps il ne pouvait que la comprendre. Elle se sentait bafouée. Trahie. Alors qu’il ne s’était jamais révélé aussi sincère avec quiconque. Théodore. Elle ne prononçait plus son nom.

« Lisabelle. Vous êtes la seule à mes yeux, et vous savez – au fond de vous – que je suis sincère. On veut vous éloigner de moi… Mais je ne laisserai pas faire. Prenez ma main, s’il-vous-plaît. »

Il avait tendu sa paume dans sa direction, espérant qu’elle vienne la saisir. Que pouvait-il dire d’autre ? Edward avait tout gâché. Et il craignait de ne pouvoir rattraper cette blessure qu’il avait ouvert dans leurs cœurs respectifs.

« Je vous en prie Lisabelle, de tout mon cœur. Faites-moi confiance. Je vous aime. »

Lisabelle observait le courant violent battre les roches alentours. Pourtant, les mots de Théodore firent échos à ce que lui disait son coeur. Alors, après un instant d'hésitation, elle se tourna vers lui lentement, posant une main sur la paume ouverte dans sa direction. Dieu attendrait encore cette folie-ci.

Elle s'écarta du bord du ruisseau alors, ne parvenant pas à se décider entre rester à bonne distance de lui ou retrouver le réconfort de ses bras. Elle ne bougea donc pas plus, se laissant guider en fuyant son regard :

- Votre ami à de toute manière raison... Jamais on ne me tolérera à vos côtés...

Elle se mordit la langue, tentant de trouver la force de lui demander de l'oublier alors... De ne pas les faire souffrir plus longtemps.

Edward qui était sur leurs talons et avait assisté à la scène n'intervint pas cette fois, seulement attentif, silencieux, à l'écart.